Jean-Paul Baquiast nous livre ses réflexions sur la question "La science pourra-t-elle rester neutre?"
Le sujet est à la mode dans certains cercles et les implications des réponses qu'on peut apporter ne sont pas anodines.
Le terme "science neutre" est opposé à "science partisane" en générale, "science théiste" en particulier. Malheureusement la distinction entre la définition de la science et sa pratique par les scientifiques, sous la houlette des pouvoirs publics, ou d'entreprises privées, n'est pas clairement faite.
En fait, la science n'est pas neutre, aujourd'hui pas plus qu'elle ne l'a jamais été par le passé. Le fait de se cantonner explicitement à une approche matérialiste du monde est une prise de position que je ne vois pas comment on pourrait qualifier de neutre vis-à-vis des idéologies diverses qui voudraient soit se réclamer de cette définition pour justifier une vue "tout matérialisme", de domaines autres que scientifiques, ou souhaiteraient modifier cette définition pour y inclure leurs approches, d'essence métaphysique.
Même si par neutralité on veut signifier que la science ne souhaite pas supporter, ou dépendre de l'une ou l'autre idéologie, il y a prise de position dont la neutralité ne peut concerner que "l'utilisation des conclusions scientifiques".
Certainement pas les bases des choix étatiques ou privés quant aux domaines et questions scientifiques privilégiés par les financements publics ou par les lois délimitant l'étendue des domaines de recherche.
Privez le scientifique des moyens de mener ses travaux et vous disposez d'un quidam tout au plus bon à s'exercer à la philosophie des sciences. Dotez un quidam des moyens pour faire semblant de faire de la science et une pseudo-science bourgeonne.
La science ne peut malheureusement pas s'offrir le luxe de la neutralité quant à sa définition et sa pratique, pas plus que quant à sa définition.
Même la distinction entre science fondamentale et appliquée n'est pas à même d'apporter la neutralité souhaitée à une portion des activités scientifiques; au contraire, elle aboutit à la concentration des objections sur certaines questions, laissant la technologie, en partie, en dehors du débat.
Autant il est légitime de se préoccuper de la façon dont les ressources gérées par son état sont utilisées, autant c'est de l'ingérence que de vouloir dicter la façon dont des ressources d'un autre état, ou privées, sont utilisées. Qu'un état catholique, comme le Vatican, ou un état islamique, ou une fondation privée, souhaitent utiliser leurs ressources pour promouvoir ou établir des approches non matérialistes pour expliquer le monde, est un droit qu'aucun scientifique, que personne en fait, ne peut leur réfuter. La seule chose qu'on puisse exiger est qu'ils n'usurpent pas le terme "science".
L'exemple apporté de détournement de crédits par les créationnistes américains n'est pas suffisamment clair en fait, rien ne montrant si les dits crédits ne sont pas d'origine privée.
Il serait plus percutant et explicite, et ne relevant pas de l'ingérence, de poser la question comment au sein d'un établissement public français, comme le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN), et avec un salaire de Directeur de Recherche du CNRS, français et public également, une personne peut pratiquer de la "mauvaise science", mauvaise non pas seulement quant aux motivations, mais surtout quant à la méthodologie utilisée et le manque de connaissance du domaine abordé. Et pourquoi elle conserve sa place !
J'ai du mal à envisager comment une science limitée par des concepts idéologiques ou religieux pourrait être en compétition avec la science dans un domaine autre que la disponibilité des ressources. L'éclatement du lyssenkisme est l'exemple le plus proche du devenir des approches basées sur des idéologies introduites dans le champ scientifique. Des bulles spéculatives qui ne peuvent qu'éclater à court ou moyen terme. Qu'elle soient suscitées par une idéologie politique ou religieuse d'ailleurs, aucune hypothèse ne peut tenir tête longtemps face à une thèse supportée par des faits, que même ses opposants peuvent tester, s'ils sont de bonne foi. Abordez l'amélioration de plantes sur un mode lamarckien, plutôt que darwinien, et vous finirez par vous couvrir de ridicule, ce qui n'est pas grave, et par avoir perdu la guerre des applications concrètes, et ça c'est une mini-catastrophe économique, autant à cause de la perte des ressources allouées que par le manque à gagner.
Les réflexions de Jean-Paul Baquiast le mènent progressivement à prendre position pour une réaction concertée de la part des matérialistes, face aux intrusions théistes qui pullulent ces derniers temps.
Il se peut que j'eut été partisan d'une telle approche si le nécessaire avait été fait pour expliciter le positionnement de la science face à des telles intrusion. En dernier recours.
Or c'est loin d'être le cas. Face au cas " Anne Dambricourt-Malassé" la réaction des instances publiques a priori garantes des bonnes pratiques scientifiques a été molle et mal (ou pas du tout) organisée.
On est resté loin de la possibilité de laisser ADM se présenter à un débat public, pour lui signifier publiquement qu'elle confond certaines notions de base de biologie et qu'elle ignore le domaine qu'elle critique, ce qui aurait eu la vertu d'être éducatif pour le public essentiellement composé de non-scientifiques, clore le débat une fois pour toutes, au moins dans les termes utilisés encore aujourd'hui, et éviter de donner une "image de marque" de la science empreinte de dogmatisme.
Avant que ce type d'outils, disponibles, n'aient été utilisés, commencer à réfléchir à l'élaboration de nouveaux peut donner l'illusion qu'on anticipe les mouvements des adversaires; mais ça relève plus de l'organisation de personnes partageant une même idéologie, pour donner à cette dernière les moyens d'exercer son influence pour le partage des ressources allouées à la science. Si c'est l'objectif poursuivi, et qu'il est clairement exprimé sans se cacher derrière la défense d'une science neutre, je pense que c'est un effort honorable auquel je participerai volontiers.
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